Un enfant d’Étretat

Un enfant d’Étretat court la côte et sous les cailloux frappent ses tables qui se multiplient, ses mots qui s'accordent, ses notes qui dissonent. Il est insouciant à suivre le vent d’Étretat qui le mène loin des écrans de son temps, vers le sable des roches ratatinées, poudre de trace des formes passées qu'on dirait aussi hachées que des idées de Platon. Dans ces falaises point de cavernes mais des rêves lovés de l'enfance féroce.


C’est un chemin qu’aucune sentinelle ne garde

c’est un chemin qu’aucune sentinelle ne garde

un chemin qui serpente, que rien ne borne

il est vaste à perdre haleine

tous les idiomes s’y fondent

et tous les humains de tous les temps l’empruntent

ils y vivent, s’y croisent, y prospèrent

c’est un chemin sous le soleil et dans l’espace

qui ressemble à la dérive des continents

c’est un chemin au terme duquel

toutes les réponses se dénouent

dans l’étendue argentée du ciel

Sous-bois

Il flotte une discrète odeur de fraise dans ce sous-bois couvert par le bois mort et le croassement glauque d’une corneille en vol. C’est un pays imaginaire de souches et de branchages secs, de fleurs solaires et violines, un tapis vert percé de toutes parts du marron de la terre, des écorces et du gris des spirales d’escargots, coquilles vides, accidents de vie animale dans cette mer végétale insensible au mouvement des marées.

C’est le printemps que l’on attend ici, avec ses brassées nouvelles de chaleur en lutte contre les derniers assauts du froid. Tous les oiseaux expriment ce réveil, chacun avec sa langue et son sens particulier de l’harmonie. C’est ce manteau tiède et enveloppant qui s’annonce, cette promesse de richesse et de renouveau dans le silence persistant de toute activité humaine.

Le poète sans rôle

C’est le matin et dans la ville tous s’agitent, rejoignent un bureau, un commerce, un hôpital, un engin, un tribunal, une salle de classe. Tous sauf un, l’enfant qui rêve en chemin est le poète. Il a plutôt l’air d’un vieux déplumé qui n’a jamais atteint le but assigné. Il regarde à droite, à gauche, en bas et en haut ; derrière lui, devant lui de tous les côtés – souvent nulle part autour de lui.

Ses pas le guident dans le profond dédale intérieur où l’imaginaire se mêle à la vapeur du présent. Chez la plupart d’entre nous, rien ne filtre de cette rencontre quotidienne et magique. Pour lui, la cristallisation en mouvement de ses états intérieurs le nourrit, il y plonge cœur et plume. Parfois pleure, parfois rit, sans que du dehors on ne sache pourquoi.

Le poète est le mineur de l’âme qui remonte à la surface la précieuse matière cachée en chacun. C’est pourquoi on le laisse exister, c’est pourquoi aussi on le pourchasse. C’est un être qui plonge dans les entrailles, fouille les plaies et nage dans les fontaines éruptives. Il se gorge des éléments fondamentaux de la vie et construit des édifices aussi simples que complexes. C’est que le poète n’a pas conscience de l’impossible.

Qu’on l’écoute, qu’on l’ignore ou qu’on veuille le faire taire, il parle d’une voix dont l’origine se perd dans une nuit antique.

C’est un être qui ressent par tous les sens.

C’est un errant qui n’appartient qu’au présent.

C’est un roi solaire sans l’ombre d’un royaume.

Le poète goûte le rêve, son guide, dans des mondes incréés ou que l’on croyait à jamais engloutis.

Ce i sans tête

                                       lensommeillement de cet arbre qui larve percute tout ce qui rime

                                                                                  avec la nonchalante ardeur du jour

                       pour que ce i sans tête m’obsède

                             il doit avoir la couleur du i grec

                                    et le goût d’une mer de sel escarpée

 

                                                     qu’en lui résonne la barbarie oubliée des temps de guerre

                                         l’écume nourrie de la pensée et ses souvenirs

                 qui tremblent comme les feuilles de l’orme

                                              sous les coups répétés du vent tempétueux qui n’épargne rien

                                qui n’oublie rien et qui colporte bonne ou mauvaise nouvelle

 

           j’essuie le temps avec la vaisselle propre

j’essuie le temps avec mes manches

                                                      et je bave d’avoir trop parlé

 

               tout cela

mascarade     parades masquées

                                  est bientôt terminé

 

                                                           tout s’achève

 

                                                                                                tout s’écoule et se magnifie

 

 


Mettre un coup de scalpel

Mettre un coup de scalpel dans la toile,

juste là dans la réserve, pour faire du blanc

un vide de tous les instants.

Ouvrir une fenêtre sur l’espace au-delà,

briser l’attente de l’œil et l’éblouir

de lignes incompréhensibles.

Jeter à l’eau tous les préfabriqués

pour un jaillissement brutal de la nature

dans l’espace confiné de l’humain fatigué.

C’est par cette surprise seule,

cet état de sidération que l’être se sauvera,

qu’il échappera au sort que l’illusion lui promet, doux nid mortel qui réclame

toute la force pervertie de l’âme.

C’est la béance, la clarté soudaine,

par l’éboulement spontané

que le combat s’achèvera, que toute résistance cessera et que la liberté réelle naîtra.

Il n’y a pas de douceur dans cet amour.

Mais toute la violente beauté d’une naissance.


Nous sommes le monde, agissons.

Nous sommes le 21 mars 2020. La France et une bonne partie de l’Europe et du monde tournent au ralenti (à ce jour un milliard de personnes sont confinées). Mais j’ai décidé de ne rien changer à mes plans. Je me jette dans le vide avec vous. La vie continue malgré le virus qui rôde, l’inquiétude qui plane ou l’indifférence inconsciente de certains. Je lis, prends des nouvelles, je m’informe comme beaucoup d’entre nous. J’essaie de comprendre ce qui est en train de se passer et de saisir les enjeux réels de la situation.

J’ai le sentiment que nous sommes à un tournant, qu’un moment-clé se profile. Qu’en d’autres termes, il va falloir choisir. Depuis des décennies, une infime partie de l’humanité exploite sans vergogne notre planète, pille ses richesses et l’énergie de la majorité d’entre nous.

Je le dis très clairement, je ne veux plus de ce système basé sur l’exploitation et la soumission. Le seul critère valable est celui de la préservation de la vie, de sa valorisation, de son épanouissement. Tout le reste n’est que mensonge, fuite et manipulation, inconscience. Je me désolidarise de tous ceux qui ont un comportement qui porte atteinte, d’une manière ou d’une autre à la vie. Et je m’attellerai à faire comprendre à tous, les raisons de mon engagement et de mon combat. Il est temps que les choses changent, et surtout temps que les humains changent. Tous sans exception car chacun est concerné au premier chef. Chacun doit apporter sa pierre à l’édifice de la survie collective. Levons les yeux, prenons conscience de l’état de délabrement avancé du monde et agissons.

Nous sommes le monde. Respectons-le, respectons-nous. Aimons-le, aimons-nous.

Le Neptune – épisode 1/2

LE NEPTUNE
Établissement de spectacles véritables
Quatre salles
un théâtre (350 places)
une salle de concert (275 places)
une salle de projection (175 places)
un studio de cinéma
Tous les soirs à 20 heures, venez tenter votre chance !
Spectacles uniques en leur genre.

Le Neptune est un établissement de spectacle singulier, tout d’abord, de part son architecture qui ne passe pas inaperçue. Sa façade n’est pas frappée d’alignement avec les autres bâtiments de la rue. Elle s’enfonce à angle droit sous un porche qui débouche dans un hall. Chacun des deux murs qui forme l’angle est percé de deux portes et chaque mur est couvert de peintures représentant une diversité de visages expressifs ; un tableau présente l’étude illustrée des maladies mentales ; une frise chronologique déroule l’histoire des utopies ; un Poséidon tend son bras vengeur vers l’horizon immense, fait déferler les flots, les fait rouler puissamment pour engloutir les navires et noyer les naufragés ; des dauphins fragmentés en octogones irréguliers, de noir et de jaune, nagent en ne faisant qu’un ; une vierge agenouillée, les mains nouées et le regard perdu dans son ciel intérieur, implore le secours de dieu ; un taureau démesuré suspend le mouvement de sa virilité massive ; des nus, le corps transpercé d’éclairs, convulsent sans que l’on puisse dire s’ils sont transportés de plaisir ou de douleur.
Partout c’est le bleu qui domine, équilibré ou soutenu par une riche palette de verts et de jaunes. Le blanc et le noir, les nuances de gris, sont utilisés pour accentuer et donner de la profondeur aux sujets peints. Nulle part, il est fait usage du rouge ou de ses dérivés. Aucun violet, aucun orange, pas de rose.
Les visages grimaçants, les corps tendus sont plus angoissants encore par l’absence de carnation. Leur teint est grisâtre, patiné de bleu et d’un jaune évanescent qui apporte la lumière suffisante et insuffle le peu d’humanité nécessaire à semer le trouble dans l’esprit du visiteur.
Une autre particularité marquante du bâtiment est l’imposante sphère bleue, représentation de la planète Neptune, qui est littéralement posée sur le toit et déborde pesamment à l’intérieur du hall. La teinte claire du bleu qu’elle émet, impulse un léger mouvement rotatif et donne à l’ensemble un effet d’étrangeté marine.
Sur la moquette, que l’on imagine blanche, d’immenses tridents indiquent l’entrée des quatre salles. Comme l’annonce l’affiche publicitaire, derrière chaque porte se cachent une salle de théâtre, une salle de concert, une salle de projection et l’entrée d’un studio de cinéma “unique en son genre”.

L’écorchée de feu

Voici un poème dont j’avais commencé la rédaction en 2007. Il y a bien longtemps. En rangeant une pile de papiers (j’en ai plusieurs sous le coude), il y a quelques semaines, je suis retombé dessus et j’ai décidé d’en achever l’écriture. Vous pouvez lire le résultat juste en-dessous. Mes archives sont pleines de textes à peine ébauchés ou presque terminés. J’ai entrepris de faire une sélection et de me laisser guider par mon intuition et mon inspiration afin de les partager avec vous sous une forme (enfin) aboutie. C’est sûrement l’effet “rentrée”. Bonne lecture !

Pour une lecture plus agréable, vous pouvez lire cet article au format pdf : ici.


L’écorchée brûlante
languissante et moite
entre les stupeurs et les aberrations
des convives assemblés

Sur les tables on redessine
des chevaux gisants
au cabrer rutilant
étalon suintant de verve

Tandis qu’aux murs
pendent des échecs carrés
où reines et rois
s’unissent en guerres lentes

Des cohortes de pianos
assistent aux ébats
partageant quelques pistons
de vieilles machines endolories

Au rocher du salon
coupé dans l’âtre
le corps équarri d’un arbre puissant

brûle.

L’auteur n’est pas abstrait

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Le monde du livre n’existerait pas sans l’auteur et pourtant le système fonctionne en
grande partie à ses dépends. En effet, l’auteur est, proportionnellement au travail fourni, le
moins rémunéré de tous les acteurs du secteur et bien souvent le seul à ne pas pouvoir vivre de
son travail. Cela s’explique de la manière suivante, un livre neuf en littérature c’est en
moyenne (source SNE) : détaillant (libraire, supermarché, etc.) 36%, imprimeur 16%, éditeur
14%, distributeur (souvent lié à la maison d’édition) 11%, auteur 11% (6% si le tirage est faible
ce qui est très majoritairement le cas), diffuseur 6,5%, État (TVA) 5,5%. Il faut ajouter à cela le
délai de paiement des droits d’auteur qui est couramment de 18 mois, la bestsellerisation des
ventes qui entraîne un nombre très réduit de livres à des sommets de mirobolance, l’opacité
entretenue autour du nombre de ventes pour beaucoup d’autres, les rapports compliqués entre
éditeurs et auteurs. Ce qui fait, en France, qui n’est pas le pire des systèmes, notamment grâce
au prix unique, que sur 100.000 auteurs moins de 2% vivent exclusivement de leur plume.
On ignore donc très largement que l’auteur, celui qui est vivant bien entendu, est doté
d’un estomac, qu’il doit se reposer sur un lit, avoir un toit au-dessus de la tête, qu’il doit aussi
entretenir son corps et son esprit, alimenter son bureau en livres et autres documents, payer
ses factures, éponger ses dettes hélas parfois. Bref, l’auteur a lui aussi besoin d’argent
(modestement) pour vivre, tout simplement parce qu’il existe réellement et qu’il a des besoins
physiologiques primaires et moins primaires, ainsi que d’autres aspirations quotidiennes ou
régulières qui ont un coût.
Bon, cette entrée en matière est peut-être abrupte mais elle est nécessaire pour faire
comprendre qu’écrire est un vrai métier, pas un loisir ni une activité complémentaire et encore
moins une occupation romantique dénuée de tout ancrage dans le monde réel.
Passons maintenant aux raisons pour lesquelles je ne veux pas être édité par un éditeur
professionnel :
1. parce que les lecteurs, c’est-à-dire vous, êtes assez lucides, matures, curieux et
responsables pour savoir si vous avez envie de me lire. Charge à moi de vous faire
découvrir et apprécier les fruits de mon travail,
2. pour ne pas céder mes droits et emprisonner la majeure partie de ce que je crée ; le
copyright est valable 70 ans après la mort de l’auteur, c’est le délai officiel pour que son
œuvre tombe dans le domaine public,
3. pour rester totalement et absolument et éternellement libre de faire ce que je veux avec
ce que je crée et de laisser ce que je crée ouvert à tous,
4. rendre accessible à tous ce que je fais en permettant à chacun de me soutenir selon ses
moyens,
5. pour ne pas appartenir à une organisation pyramidale, avec notamment une tête bien
identifiée là-haut tout là-haut,
6. pour ne pas entrer dans le système médiatique et le milieu littéraire avec ses codes et sa
sempiternelle mascarade des prix,
7. pour éviter les déboires de ma première édition (ne pas être payé, dépenser plus que je
ne gagne…).
Vous l’aurez compris, c’est un véritable choix, une proposition, un engagement
fondamental et personnel pour un autre mode de fonctionnement, pour une autre société ;
pour placer au cœur de la relation entre le créateur et les lecteurs la confiance et l’engagement
mutuel. Je veux qu’on entre dans ma littérature comme dans un moulin. Je le répète, que tous
ceux qui le souhaitent puissent y avoir accès sans restriction ni condition. Je suis contre les
barrières infranchissables, contre les frontières qui divisent. Je suis pour le lien direct et
l’échange d’égal à égal, pour la créativité vivante, libre, ouverte, dense et foisonnante.
Évidemment, je n’ai pas la prétention de détruire le système institué, je remarque
simplement qu’il ne me convient absolument pas, ce qui explique ma décision de prendre une
place légitime et parallèle. La plupart des écrivains acceptent ou se soumettent à un état de fait.
Libre à eux. De mon point de vue, ils se trouvent dans le cadre de la servitude volontaire si bien
mise en lumière par La Boétie. Je le refuse pour moi-même sans vouloir convaincre quiconque.
Je défends mon droit à exister en alternative, selon un mode de fonctionnement qui me paraît
foncièrement juste.
Il est certain que ce choix a des contraintes surtout en terme de temps et de risques
financiers (raisons pour lesquelles sans doute beaucoup d’écrivains ne se lancent pas dans cette
aventure périlleuse). Concrètement, je dois m’occuper de la ligne complète pour éditer mes
écrits (de l’écriture à la vente). Je dois choisir, c’est exaltant, mon imprimeur, la qualité du
papier, le tirage (nombre d’exemplaires), réaliser la mise en page, les corrections, créer la
couverture, communiquer, assurer la distribution, gérer le site Internet, etc. Alors, pour
résumer, sur un livre vendu, je gagnerai certainement plus qu’en édition classique (suivant le
nombre et le degré d’implication et d’adhésion de vous, lecteurs) mais je passerai aussi
beaucoup de temps à ne pas écrire afin de mieux me faire connaître et lire. C’est un choix que
j’assume pleinement puisque c’est celui de la liberté. Je suis libre d’être écrivain et écrivain
libre par conviction. Je suis, plus que jamais, déterminé à vivre comme tel, grâce à votre
soutien.
Je vous donne rendez-vous sur Tipeee dès le 4 juillet 2019, pour me soutenir en faisant
un don ponctuel ou régulier. Un grand merci à tous !
Pour finir cette publication, je citerai un auteur romanche que je m’attellerai à mieux
connaître, Iso Camartin. Il a déclaré dans le Temps de Genève (08 août 1998) : “on ne peut pas
glorifier la liberté sans la mettre en pratique.” Alors oui, soyons cohérents, mettons en
pratique !