Rêve d’onde

C’est sur cette route que tout se passe, là où trois corneilles se lassent le bec en terre. Il pleut un air brûlant qu’on voudrait étouffer avec de grandes feuilles de figuier, le fouetter avec l’ombre dense d’un noyer.
Tout est à sec, jusqu’au plus profond des puits et au-delà des sources. Il n’y a plus d’idées, plus de sève, que la morsure douloureuse du soleil plantée dans la peau craquelée et dans la croûte qui fend.
Pourtant, hors de vue, les eaux montent sèches et sourdes à la plainte des étendues qu’elles engloutissent de leur immensité salée. Il n’y a de place que pour ces déserts de poussière et d’eau qui se font face et s’étendent comme les interminables côtes de Namibie et d’Angola.
De cette lutte précipitée gicle l’écume, flaccide et vague vapeur de gouttelettes fines qui excave l’alcool de quelques arbres bleus et la silhouette des femmes à pipe ronde.

Mirage étoilé

Lorsque, fatigué, je lève les yeux au ciel,

Allongé sur mon tapis de mousse,

Je pense aux traces d’étoiles lointaines

Dont la lumière anime la nuit.

Elles scintillent comme un souvenir insaisissable.

J’imagine en rotation autour d’elles

Des planètes de sable qui se dissipent

Dès que mon regard tente de les saisir.

Dans ce grand traité des lois de l’espace,

J’ai la sensation d’un incommensurable vide.

C’est un chemin qu’aucune sentinelle ne garde

c’est un chemin qu’aucune sentinelle ne garde

un chemin qui serpente, que rien ne borne

il est vaste à perdre haleine

tous les idiomes s’y fondent

et tous les humains de tous les temps l’empruntent

ils y vivent, s’y croisent, y prospèrent

c’est un chemin sous le soleil et dans l’espace

qui ressemble à la dérive des continents

c’est un chemin au terme duquel

toutes les réponses se dénouent

dans l’étendue argentée du ciel

Le poète sans rôle

C’est le matin et dans la ville tous s’agitent, rejoignent un bureau, un commerce, un hôpital, un engin, un tribunal, une salle de classe. Tous sauf un, l’enfant qui rêve en chemin est le poète. Il a plutôt l’air d’un vieux déplumé qui n’a jamais atteint le but assigné. Il regarde à droite, à gauche, en bas et en haut ; derrière lui, devant lui de tous les côtés – souvent nulle part autour de lui.

Ses pas le guident dans le profond dédale intérieur où l’imaginaire se mêle à la vapeur du présent. Chez la plupart d’entre nous, rien ne filtre de cette rencontre quotidienne et magique. Pour lui, la cristallisation en mouvement de ses états intérieurs le nourrit, il y plonge cœur et plume. Parfois pleure, parfois rit, sans que du dehors on ne sache pourquoi.

Le poète est le mineur de l’âme qui remonte à la surface la précieuse matière cachée en chacun. C’est pourquoi on le laisse exister, c’est pourquoi aussi on le pourchasse. C’est un être qui plonge dans les entrailles, fouille les plaies et nage dans les fontaines éruptives. Il se gorge des éléments fondamentaux de la vie et construit des édifices aussi simples que complexes. C’est que le poète n’a pas conscience de l’impossible.

Qu’on l’écoute, qu’on l’ignore ou qu’on veuille le faire taire, il parle d’une voix dont l’origine se perd dans une nuit antique.

C’est un être qui ressent par tous les sens.

C’est un errant qui n’appartient qu’au présent.

C’est un roi solaire sans l’ombre d’un royaume.

Le poète goûte le rêve, son guide, dans des mondes incréés ou que l’on croyait à jamais engloutis.

Ce i sans tête

                                       lensommeillement de cet arbre qui larve percute tout ce qui rime

                                                                                  avec la nonchalante ardeur du jour

                       pour que ce i sans tête m’obsède

                             il doit avoir la couleur du i grec

                                    et le goût d’une mer de sel escarpée

 

                                                     qu’en lui résonne la barbarie oubliée des temps de guerre

                                         l’écume nourrie de la pensée et ses souvenirs

                 qui tremblent comme les feuilles de l’orme

                                              sous les coups répétés du vent tempétueux qui n’épargne rien

                                qui n’oublie rien et qui colporte bonne ou mauvaise nouvelle

 

           j’essuie le temps avec la vaisselle propre

j’essuie le temps avec mes manches

                                                      et je bave d’avoir trop parlé

 

               tout cela

mascarade     parades masquées

                                  est bientôt terminé

 

                                                           tout s’achève

 

                                                                                                tout s’écoule et se magnifie

 

 


Mettre un coup de scalpel

Mettre un coup de scalpel dans la toile,

juste là dans la réserve, pour faire du blanc

un vide de tous les instants.

Ouvrir une fenêtre sur l’espace au-delà,

briser l’attente de l’œil et l’éblouir

de lignes incompréhensibles.

Jeter à l’eau tous les préfabriqués

pour un jaillissement brutal de la nature

dans l’espace confiné de l’humain fatigué.

C’est par cette surprise seule,

cet état de sidération que l’être se sauvera,

qu’il échappera au sort que l’illusion lui promet, doux nid mortel qui réclame

toute la force pervertie de l’âme.

C’est la béance, la clarté soudaine,

par l’éboulement spontané

que le combat s’achèvera, que toute résistance cessera et que la liberté réelle naîtra.

Il n’y a pas de douceur dans cet amour.

Mais toute la violente beauté d’une naissance.


L’écorchée de feu

Voici un poème dont j’avais commencé la rédaction en 2007. Il y a bien longtemps. En rangeant une pile de papiers (j’en ai plusieurs sous le coude), il y a quelques semaines, je suis retombé dessus et j’ai décidé d’en achever l’écriture. Vous pouvez lire le résultat juste en-dessous. Mes archives sont pleines de textes à peine ébauchés ou presque terminés. J’ai entrepris de faire une sélection et de me laisser guider par mon intuition et mon inspiration afin de les partager avec vous sous une forme (enfin) aboutie. C’est sûrement l’effet “rentrée”. Bonne lecture !

Pour une lecture plus agréable, vous pouvez lire cet article au format pdf : ici.


L’écorchée brûlante
languissante et moite
entre les stupeurs et les aberrations
des convives assemblés

Sur les tables on redessine
des chevaux gisants
au cabrer rutilant
étalon suintant de verve

Tandis qu’aux murs
pendent des échecs carrés
où reines et rois
s’unissent en guerres lentes

Des cohortes de pianos
assistent aux ébats
partageant quelques pistons
de vieilles machines endolories

Au rocher du salon
coupé dans l’âtre
le corps équarri d’un arbre puissant

brûle.