Brûler, tout simplement

Voir et revoir des images, des traces de son passé : un coin de bibliothèque, l’emplacement d’un meuble dans un appartement quitté depuis longtemps, une table basse encombrée de livres et de cahiers, le cadre noir d’une fenêtre fermée sur la nuit, etc.

Voir et revoir toujours les mêmes ; c’est forcer le sillon, c’est admettre que de volonté on peut choisir un certain sens à son passé, sélectionner les résidus de sensations éprouvées, les regards jetés sur les petits détails pas si insignifiants de la vie.

Mais on peut aussi décider de faire place nette et de tout jeter au feu parce que ce qui n’existe plus n’a pas d’importance et que de regarder brûler du papier est agréable, tout simplement.



Vision de nuit


Une boule noire
au fond de l’océan
qui rayonne
sans frontière
et m’environne
conscience totale
de la solitude
et de l’ampleur
du monde.


La nuit se vit comme la solitude et le silence ; immuable puis se dissipe.

Quand l’esprit regarde la nuit noire, elle ne lui cache rien.


Rien ne peut éclairer la nuit. Ni la bougie, ni la lampe, ni le feu, ni le projecteur, ni le phare, rien au monde ne peut faire que la nuit disparaisse.

Vouloir éclairer la nuit ce n’est pas assumer sa peur. Accepter la nuit pour ce qu’elle est, absence de lumière, c’est apprendre à voir autrement qu’avec les yeux.



Mais ça me tue

J’ai l’impression que dans cette cage, je n’ai plus aucune vivacité d’esprit. Je n’y suis que l’ombre, que la vapeur, que le souvenir à demi-effacé de quelqu’un que j’aurais pu être.

Je sens en moi, profondément, ce quelque-chose qui me déchire. Je n’arrive pas à me plier à d‘autres formes. Je ne comprends pas le plan, tout ce qui est attendu de moi. Je n’y arrive qu’en rêves et sans douleur car je peux rêver au dénouement, à la réussite sans avoir subi les épreuves, sans avoir goûté à ces souffrances, que je m’impose au nom de quoi ? Je n’ai pas la structure du perroquet ou celle de la marionnette. Pourquoi m’entêtai-je toujours à me le faire croire ? J’aime me nourrir de la pensée, des idées, mais je n’ai pas l’étoffe de ces techniciens que j’aime tant lire. Je casse les moules. C’est ainsi. Je n’y peux rien ; je crois avoir beaucoup tenté pour devenir souple mais ça me tue. Et je ne veux pas encore mourir.



L’auteur n’est pas abstrait

Pour une lecture plus agréable, vous pouvez lire cet article au format pdf : ici.


Le monde du livre n’existerait pas sans l’auteur et pourtant le système fonctionne en
grande partie à ses dépends. En effet, l’auteur est, proportionnellement au travail fourni, le
moins rémunéré de tous les acteurs du secteur et bien souvent le seul à ne pas pouvoir vivre de
son travail. Cela s’explique de la manière suivante, un livre neuf en littérature c’est en
moyenne (source SNE) : détaillant (libraire, supermarché, etc.) 36%, imprimeur 16%, éditeur
14%, distributeur (souvent lié à la maison d’édition) 11%, auteur 11% (6% si le tirage est faible
ce qui est très majoritairement le cas), diffuseur 6,5%, État (TVA) 5,5%. Il faut ajouter à cela le
délai de paiement des droits d’auteur qui est couramment de 18 mois, la bestsellerisation des
ventes qui entraîne un nombre très réduit de livres à des sommets de mirobolance, l’opacité
entretenue autour du nombre de ventes pour beaucoup d’autres, les rapports compliqués entre
éditeurs et auteurs. Ce qui fait, en France, qui n’est pas le pire des systèmes, notamment grâce
au prix unique, que sur 100.000 auteurs moins de 2% vivent exclusivement de leur plume.
On ignore donc très largement que l’auteur, celui qui est vivant bien entendu, est doté
d’un estomac, qu’il doit se reposer sur un lit, avoir un toit au-dessus de la tête, qu’il doit aussi
entretenir son corps et son esprit, alimenter son bureau en livres et autres documents, payer
ses factures, éponger ses dettes hélas parfois. Bref, l’auteur a lui aussi besoin d’argent
(modestement) pour vivre, tout simplement parce qu’il existe réellement et qu’il a des besoins
physiologiques primaires et moins primaires, ainsi que d’autres aspirations quotidiennes ou
régulières qui ont un coût.
Bon, cette entrée en matière est peut-être abrupte mais elle est nécessaire pour faire
comprendre qu’écrire est un vrai métier, pas un loisir ni une activité complémentaire et encore
moins une occupation romantique dénuée de tout ancrage dans le monde réel.
Passons maintenant aux raisons pour lesquelles je ne veux pas être édité par un éditeur
professionnel :
1. parce que les lecteurs, c’est-à-dire vous, êtes assez lucides, matures, curieux et
responsables pour savoir si vous avez envie de me lire. Charge à moi de vous faire
découvrir et apprécier les fruits de mon travail,
2. pour ne pas céder mes droits et emprisonner la majeure partie de ce que je crée ; le
copyright est valable 70 ans après la mort de l’auteur, c’est le délai officiel pour que son
œuvre tombe dans le domaine public,
3. pour rester totalement et absolument et éternellement libre de faire ce que je veux avec
ce que je crée et de laisser ce que je crée ouvert à tous,
4. rendre accessible à tous ce que je fais en permettant à chacun de me soutenir selon ses
moyens,
5. pour ne pas appartenir à une organisation pyramidale, avec notamment une tête bien
identifiée là-haut tout là-haut,
6. pour ne pas entrer dans le système médiatique et le milieu littéraire avec ses codes et sa
sempiternelle mascarade des prix,
7. pour éviter les déboires de ma première édition (ne pas être payé, dépenser plus que je
ne gagne…).
Vous l’aurez compris, c’est un véritable choix, une proposition, un engagement
fondamental et personnel pour un autre mode de fonctionnement, pour une autre société ;
pour placer au cœur de la relation entre le créateur et les lecteurs la confiance et l’engagement
mutuel. Je veux qu’on entre dans ma littérature comme dans un moulin. Je le répète, que tous
ceux qui le souhaitent puissent y avoir accès sans restriction ni condition. Je suis contre les
barrières infranchissables, contre les frontières qui divisent. Je suis pour le lien direct et
l’échange d’égal à égal, pour la créativité vivante, libre, ouverte, dense et foisonnante.
Évidemment, je n’ai pas la prétention de détruire le système institué, je remarque
simplement qu’il ne me convient absolument pas, ce qui explique ma décision de prendre une
place légitime et parallèle. La plupart des écrivains acceptent ou se soumettent à un état de fait.
Libre à eux. De mon point de vue, ils se trouvent dans le cadre de la servitude volontaire si bien
mise en lumière par La Boétie. Je le refuse pour moi-même sans vouloir convaincre quiconque.
Je défends mon droit à exister en alternative, selon un mode de fonctionnement qui me paraît
foncièrement juste.
Il est certain que ce choix a des contraintes surtout en terme de temps et de risques
financiers (raisons pour lesquelles sans doute beaucoup d’écrivains ne se lancent pas dans cette
aventure périlleuse). Concrètement, je dois m’occuper de la ligne complète pour éditer mes
écrits (de l’écriture à la vente). Je dois choisir, c’est exaltant, mon imprimeur, la qualité du
papier, le tirage (nombre d’exemplaires), réaliser la mise en page, les corrections, créer la
couverture, communiquer, assurer la distribution, gérer le site Internet, etc. Alors, pour
résumer, sur un livre vendu, je gagnerai certainement plus qu’en édition classique (suivant le
nombre et le degré d’implication et d’adhésion de vous, lecteurs) mais je passerai aussi
beaucoup de temps à ne pas écrire afin de mieux me faire connaître et lire. C’est un choix que
j’assume pleinement puisque c’est celui de la liberté. Je suis libre d’être écrivain et écrivain
libre par conviction. Je suis, plus que jamais, déterminé à vivre comme tel, grâce à votre
soutien.
Je vous donne rendez-vous sur Tipeee dès le 4 juillet 2019, pour me soutenir en faisant
un don ponctuel ou régulier. Un grand merci à tous !
Pour finir cette publication, je citerai un auteur romanche que je m’attellerai à mieux
connaître, Iso Camartin. Il a déclaré dans le Temps de Genève (08 août 1998) : “on ne peut pas
glorifier la liberté sans la mettre en pratique.” Alors oui, soyons cohérents, mettons en
pratique !

Les instruments du hasard

Qu’on lance un dé, qu’on tire une carte, qu’on ouvre un livre à l’aveugle ou qu’on éventre un lapin ;
Qu’on scrute le vol des oiseaux, qu’on jette une pièce ou bien trois ;
Qu’on lise dans le fond de sa tasse, dans le creux de sa main ou au rythme d’un pendule ;
tout mène aux signes. L’intuition nous l’avons, pourtant, ces indices recherchés génèrent un faisceau de certitudes qui appuie l’orientation d’une idée, conforte l’intensité d’un ressenti, structure une décision ou provoque un passage à l’acte.
Tout est déjà là, certainement, en puissance, mais nous préférons à un moment propice au dévoilement, user de ces instruments que nous offre le hasard afin de mieux lire en nous.

Machinalement


C’est un peu entre deux eaux ou entre chien et loup, bref dans cet état de conscience flou que le geste automatique se dessine. Je ne parle pas du réflexe qui répond aux stimuli. J’évoque plutôt cette pensée profonde et vagabonde qui enraille la vue et tient le réel à l’écart, ce flottement général qui entraîne le machinal. C’est un geste qui s’inscrit en parallèle, hors de l’intentionnalité ; un mouvement qui surprend l’acteur qui l’accomplit, soudain conscient.

L’habitude induit le détachement. La lucidité rend à l’action toute son étrangeté.


Cohabiter n’est pas vivre ensemble

Sur notre planète, plusieurs mondes cohabitent. Certains se croisent, d’autres se heurtent, s’entrelacent ou s’interpénètrent.
Souvent pourtant, les habitants ignorent qu’ils se parlent d’ailleurs. Leurs mots ont un sens qu’ils n’ont pas pour les autres. On se parle sans se comprendre et sans comprendre pourquoi on ne se comprend pas. C’est qu’on se parle sans savoir, qu’entre les mains, nous tenons des cartes du monde différentes.

Au carrefour

Il se peut qu’au carrefour soudain j’hésite. Il y a trois voies inconnues et une quatrième d’où je viens. Quelle direction emprunter si je n’ai aucune idée de ma destination ? Faut-il que je me fie à mon instinct ? Que je tente ma chance ? Que j’ose quelque chose ? Ou bien, dois-je me montrer prudent, revenir en arrière ?

Et si je restais au centre ?

Se souvenir

De quoi se souvient-on vraiment ? Quand je regarde en arrière, plus ou moins loin dans le passé, il m’est très difficile de savoir ce dont je me souviens parfaitement. Des images, des mots, des faits restent accessibles et bien vivants. Mais il m’est impossible de revivre des séquences complètes de ma vie. Ce que j’entends par là, c’est une minute, une seule minute consécutive pendant laquelle chaque seconde s’égrène limpidement, aussi clairement que lorsque je l’ai vécue. La conscience claire et inaltérable des moments révolus semble tout à fait hors de portée. Je me demande alors sur quelle base, synthétique et subjective, est construite mon identité ; de quel réseau ténu de faits établis et reconnus est tissé mon être présent.