La fleur donne le fruit

On pourrait imaginer un champ de fleurs. Chacune tirerait de l’existence unique d’une femme ou d’un homme sa couleur, sa forme, le nombre de ses pétales, la saveur de son nectar, le parfum qu’elle exhale, la saison de son épanouissement. Ces fleurs seraient uniques comme l’est le vécu de chaque individu disparu ; éternelles comme un symbole coloré et vivant de la mémoire.

À la vue de cette étendue de fleurs vibrantes, nous prendrions conscience de la multitude, de la diversité, des ressemblances, des dissemblances, de cette inépuisable richesse de formes offertes par la nature et qui réside profondément dans le cœur des Hommes. Nous nous sentirions enfin à notre place, un parmi tous, ce tous formant le un, le tout.


Je ne sais pas pourquoi m’est subitement venue cette idée de voir la vie de tout humain s’incarner dans le corps d’une fleur. C’est de prime abord, j’en conviens, peut-être un peu naïf mais, à y regarder de plus près, l’exercice s’avère riche de potentielles découvertes : quelle partie du corps, de l’esprit ou de l’âme représenteraient la dentelure des feuilles, la hauteur de la tige, la courbure des étamines, la densité de la gaine, l’envergure de la corolle, le diamètre du stigmate ou la finesse du style ?

Si l’expérience vous tente, imaginez-vous en fleur et vous vous rendrez compte que ce n’est ni simple ni anodin… et que l’on peut apprendre à se connaître grâce aux multiples biais de l’imagination.

Revoir Dijon

J’ai vécu à Dijon pendant près de vingt ans et j’en suis parti il y a presque huit ans. En si peu d’années, une ville peut changer ; c’est ce que j’ai constaté en déambulant aujourd’hui dans certaines zones de la ville. J’ai découvert des quartiers entiers en profonde mutation, des bâtiments modernisés, un parking aérien sorti de terre, un ancien hôpital totalement rasé, des sens de circulation modifiés, etc.
Pour autant, les axes restent les mêmes. Je ne me suis jamais senti déboussolé ou perdu. J’ai emprunté mes itinéraires familiers sans autre surprise qu’un décor par moment profondément bouleversé. La cité semble rajeunir, elle change de forme pour s’adapter à l’avenir que les hommes imaginent. C’est dans ces moments-là que la conscience de n’être que de passage prend forme et s’enracine dans la matière. La ville a toujours changé et sous le pas troublé des âmes vieillissantes, elle mène sa propre existence.
Surnommée la belle endormie dans les années 80-90, Dijon, désormais la métamorphosée (qualificatif qui n’a de sens que pour désigner un moment transitoire nécessitant la mémoire de ce qu’elle fut), reste, à mon insu, un important fil rouge de ma vie. J’y suis né, j’y ai grandi et malgré la distance, les liens restent tissés. Ils sont plus lâches, moins prégnants, parfois lourds mais nos deux histoires se confondent sur une bonne moitié de ma vie. Comment pourrais-je l’ignorer ?

Machinalement


C’est un peu entre deux eaux ou entre chien et loup, bref dans cet état de conscience flou que le geste automatique se dessine. Je ne parle pas du réflexe qui répond aux stimuli. J’évoque plutôt cette pensée profonde et vagabonde qui enraille la vue et tient le réel à l’écart, ce flottement général qui entraîne le machinal. C’est un geste qui s’inscrit en parallèle, hors de l’intentionnalité ; un mouvement qui surprend l’acteur qui l’accomplit, soudain conscient.

L’habitude induit le détachement. La lucidité rend à l’action toute son étrangeté.


À la dérobée

Ce soir, en recherche d’inspiration, je me suis permis de subtiliser un mot dans un sms que ma tendre moitié redigeait à mes côtés. Voici le résultat :

C’est une porte pas comme les autres, une porte qui ne se dérobe pas ; on pourrait même dire qu’elle s’affiche.
Elle invite les inconnus, elle détourne les artistes, elle déroule le tapis rouge, elle comble d’honneur, elle intimide aussi, elle écrase de tout son poids, elle s’interdit.
C’est un filtre, un privilège, une obligation.
Elle ? C’est l’entrée officielle, impressionnante le jour, bien visible la nuit.

Cohabiter n’est pas vivre ensemble

Sur notre planète, plusieurs mondes cohabitent. Certains se croisent, d’autres se heurtent, s’entrelacent ou s’interpénètrent.
Souvent pourtant, les habitants ignorent qu’ils se parlent d’ailleurs. Leurs mots ont un sens qu’ils n’ont pas pour les autres. On se parle sans se comprendre et sans comprendre pourquoi on ne se comprend pas. C’est qu’on se parle sans savoir, qu’entre les mains, nous tenons des cartes du monde différentes.