C’est un chemin qu’aucune sentinelle ne garde

c’est un chemin qu’aucune sentinelle ne garde

un chemin qui serpente, que rien ne borne

il est vaste à perdre haleine

tous les idiomes s’y fondent

et tous les humains de tous les temps l’empruntent

ils y vivent, s’y croisent, y prospèrent

c’est un chemin sous le soleil et dans l’espace

qui ressemble à la dérive des continents

c’est un chemin au terme duquel

toutes les réponses se dénouent

dans l’étendue argentée du ciel

Sous-bois

Il flotte une discrète odeur de fraise dans ce sous-bois couvert par le bois mort et le croassement glauque d’une corneille en vol. C’est un pays imaginaire de souches et de branchages secs, de fleurs solaires et violines, un tapis vert percé de toutes parts du marron de la terre, des écorces et du gris des spirales d’escargots, coquilles vides, accidents de vie animale dans cette mer végétale insensible au mouvement des marées.

C’est le printemps que l’on attend ici, avec ses brassées nouvelles de chaleur en lutte contre les derniers assauts du froid. Tous les oiseaux expriment ce réveil, chacun avec sa langue et son sens particulier de l’harmonie. C’est ce manteau tiède et enveloppant qui s’annonce, cette promesse de richesse et de renouveau dans le silence persistant de toute activité humaine.

Le poète sans rôle

C’est le matin et dans la ville tous s’agitent, rejoignent un bureau, un commerce, un hôpital, un engin, un tribunal, une salle de classe. Tous sauf un, l’enfant qui rêve en chemin est le poète. Il a plutôt l’air d’un vieux déplumé qui n’a jamais atteint le but assigné. Il regarde à droite, à gauche, en bas et en haut ; derrière lui, devant lui de tous les côtés – souvent nulle part autour de lui.

Ses pas le guident dans le profond dédale intérieur où l’imaginaire se mêle à la vapeur du présent. Chez la plupart d’entre nous, rien ne filtre de cette rencontre quotidienne et magique. Pour lui, la cristallisation en mouvement de ses états intérieurs le nourrit, il y plonge cœur et plume. Parfois pleure, parfois rit, sans que du dehors on ne sache pourquoi.

Le poète est le mineur de l’âme qui remonte à la surface la précieuse matière cachée en chacun. C’est pourquoi on le laisse exister, c’est pourquoi aussi on le pourchasse. C’est un être qui plonge dans les entrailles, fouille les plaies et nage dans les fontaines éruptives. Il se gorge des éléments fondamentaux de la vie et construit des édifices aussi simples que complexes. C’est que le poète n’a pas conscience de l’impossible.

Qu’on l’écoute, qu’on l’ignore ou qu’on veuille le faire taire, il parle d’une voix dont l’origine se perd dans une nuit antique.

C’est un être qui ressent par tous les sens.

C’est un errant qui n’appartient qu’au présent.

C’est un roi solaire sans l’ombre d’un royaume.

Le poète goûte le rêve, son guide, dans des mondes incréés ou que l’on croyait à jamais engloutis.