Il y a longtemps, plusieurs mois je pense, que je n’ai pas laissé glisser mes doigts sur le clavier sans direction préétablie. Je le fais à nouveau ce soir ; j’écris sans but préalable.
Je n’imagine plus la difficulté qu’il peut y avoir à combler des vides. La page blanche est un mythe dans lequel je ne me reconnais pas. Un jour, sans doute, cette histoire m’a-t-elle hanté, figé dans mon élan, suspendu dans mon mouvement. Aujourd’hui, je n’ai plus de crainte a priori à manœuvrer dans l’espace et le temps de la langue. J’y suis dans mon élément, j’en ai fait ma demeure et y ai établi mon foyer.
Il m’a fallu beaucoup de temps et d’efforts, de doutes (il n’est jamais acquis que jamais ils ne reviennent), de déceptions, d’enthousiasmes, de réussites pour me convaincre de ma légitimité à façonner mes propres outils, car briser les normes inculquées et les lois transmises n’est pas dénué de conséquences. Il a été indispensable, pour moi, de ressentir que mes tâtonnements successifs donnaient bel et bien naissance à un mode d’expression ayant une résonance et une portée aussi particulière qu’universelle. J’ai ainsi pu admettre que m’exprimer vraiment, je veux dire avec mes mots (mes morts, ai-je écrit instinctivement) et ma façon personnelle et intime d’imbriquer les mots et de tordre les phrases dans leur sens et dans d’autres, avait une signification et une réelle portée.
Apprendre à écrire puis écrire, est un apprentissage permanent de la liberté. C’est aussi une épreuve de concentration sur soi-même et sur sa voix intérieure qui inlassablement vous rappelle que, malgré les ardentes difficultés, vous arpentez le bon chemin et que vous êtes seul responsable de vos avancées.